jeudi 16 avril 2009

La friteuse : on a jamais vu cela sauf en droit des obligations.

Cette question de friteuse interroge de bout en bout.
Avant de résoudre un cas pratique, le bon sens veut qu'on le comprenne, que les faits décrits soient crédibles, ce qui permet déjà de lever un certain nombre d'interrogations juridiques.
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Cette friteuse, depuis l'origine, pose des questions sur son réalisme, et quelques réponses sont venues, pas toutes très rigoureuses, mais au moins permettent-elles de comprendre des difficultés inconscientes qui peuvent faire caler le candidat :
Henri a la vocation de manger la nuit, puisqu'on nous le dit clairement : il vit la nuit. S'il inverse son horloge biologique, il n'y a rien de surprenant à ce qu'il mange la nuit et non pas le jour pendant lequel il doit probablement dormir.
Il ne mange pas toujours des frites, en réalité, par définition grasses, de graisses mono-insaturées probablement : ce ne sont pas les meilleures pour la santé. Henri se tue donc la nuit à défaut d'écrire une ligne à succès. L'inspiration n'est pas au top et peut-être les frites de cette nuit là ne sont-elles qu'une expurgation d'une vocation en devenir. N'a-t-on pas tous le droit à nos rêves ? Henri devrait peut-être consulter.
Mais il n'y a pas qu'Henri qui n'aille pas très fort : la friteuse qu'il utilise chez ses amis est pour le moins improbable. On peut facilement imaginer que ses amis ignorent qu'une friteuse traditionnelle, non électrique, posée sur le feu gaz est la source principale d'incendies domestiques ; en effet, il est très difficile de contrôler la température de chauffe de la graisse utilisée et on se fie en général à la fumée qui se dégage : fumée qu n'est en réalité que de la graisse en suspension qui au contact d'une flamme, s'enflamme instantanément. Pourquoi les amis d'Henri n'ont-ils pas une friteuse moderne, électrique, ou la température du corps gras de cuisson est parfaitement contrôlée et où il n'y a en principe aucun risque d'incendie, qu'on la surveille ou non, car le corps gras ne peut pas être chauffée au-delà de 190 degrés, température à partir de laquelle au surplus, ses molécules commencent à se dégrader et se transformer en molécules toxiques ?
Décidément, tout concoure au désastre.
Sans parler des frites dont on ne sait rien sur l'origine, car avant de faire des frites, il faut, sinon ouvrir un congélateur, du moins éplucher des pommes de terre, les laver, les découper et les laver de nouveau pour ôter l'amidon qui se dépose en surface lors de la coupe, amidon qui devient toxique à la cuisson, il faut parler de cette fameuse friteuse.
Quelqu'un, franchement, a-t-il déjà vu une friteuse avec une poignée, en l'occurrence une seule poignée ?
Les friteuses d'antan étaient des grandes gamelles en acier émaillées avec deux poignées en métal, une poignée soudée de chaque côté, oui, soudée, et non pas simplement rivetée ou vissée de chaque côte. Ces friteuses restaient sur le feu tant que l'huile était trop chaude pour les enlever, rien n'étant rendu facile pour manipuler une gamelle contenant une corps gras (huile, Végétaline, ...) chauffée à 200 degrés Celcius ou plus.
Alors d'où ses amis sortent-ils une gamelle dotée d'une unique poignée en guise de friteuse ?
Parlons plutôt de casserole, dont ici, la poignée se brise. On ne connaît pas aujourd'hui une casserole dont la poignée puisse se briser. D'où vient-elle cette casserole ?
Alors évidemment dans l'urgence, il croit bien faire pour éviter l'incendie tout simplement parce qu'il n'a pas fait de stage de lutte contre l'incendie, stage extrêmement formateur, notamment dans l'apprentissage de la composition du n° 18 avec un téléphone, et l'indication de l'adresse précise du lieu de l'incendie, mais surtout pour assurer soi-même les première mesures visant à se prémunir de l'extension d'un incendie avant l'arrivée des pompiers.
Mais si Henri, plutôt que d'écrire des pages qui restent blanches et vivre la nuit, avait fait une formation de lutte contre l'incendie, il aurait su qu'il fallait, sans paniquer, prendre une serviette ou une serpillière (quoi que la serpillière ne soit plus à la mode, ce qui est un tort en matière d'incendie de friteuse), en coton naturellement car ininflammable, la mouiller totalement, l'essorer légèrement, la prendre d'une certaine façon pour protéger ses deux mains à la fois, et recouvrir délicatement la friteuse en feu. Rien de compliqué lorsqu'on a ce qu'il faut sous la main (un torchon, une serviette, une serpillière), que l'on prend le temps de la mouiller, et en avant. Qu'a-t-il donc appris, cet Henri, avant de vouloir devenir écrivain à succès en devenir ?
En plus, il avait pourtant pris le temps de remplir un seau d'eau, donc il avait tout aussi bien le temps de trouver un bout de tissu qui ne s'enflamme pas mais se consume, le mouiller et couvrir la friteuse qui aurait été éteinte immédiatement. Attention de ne pas prendre un autre tissu que du coton qui ne brûle pas mais se consume. Un tee-short en coton peut faire l'affaire...
Il aurait ainsi pu priver la friteuse enflammée de comburant (l'air) et arrêter aussi sec l'incendie.
Il ne savait pas qu'il ne faut jamais jeter de l'eau sur un incendie de produits gras, eau qui s'évapore immédiatement et aspire l'oxygène de l'air, ce qui décuple la force des flammes ?
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Il s'est blessé la main avec ses idioties ou ses ignorances, s'étant dit un jour que s'il y avait un incendie, il suffisait d'appeler les pompiers, puisqu'il ne savait rien faire d'autre d'utile. Ne savait-il pas que les pompiers ont pour mission première et absolue de sauver des vies, quitte à saccager des biens pour s'assurer qu'il n'y a aucune vie à sauver dans un local ? Les assurances prendront la suite...
Sa blessure à la main n'est pas un handicap majeur, du moins à longs termes (dont on ignore tout) puisque de toutes les façons, il écrit non pas à la plume, au stylo ou au crayon, mais à l'aide d'un ordinateur, qui aujourd'hui sont dotés de progiciels de reconnaissance vocale. On ne peut pas en déduire que ses talents ambitionnés d'écrivain, et pour le moment, hypothétiques d'écrivain, souffrent de cet accident, à court terme.
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Que se passe-t-il habituellement dans la nuit du 30 au 31 août ? On ne sait pas.
Le couple d'amis est probablement vite devenu un couple d'ex-amis devant l'ampleur du désastre : accueillir un "raté" chez soi (non, un écrivain à succès différé), ce que l'on sait puisqu'on le connaît depuis l'enfance, qui plus est vous met le feu chez vous parce qu'il ne surveille pas la cuisson de ses frites, ... et il veut vous poursuivre ??? C'est cela les amis d'enfance ? Mais dans quel monde vit-on ?
Bonne "leçon" pour le "vieil ami" d'hier d'Henri, très bon, peut-être trop ...
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Relisons le cas à la lumière des improbabilités qu'il développe :
- une friteuse qui n'en est pas une, et probablement utilisée pour un usage non prévu : une casserole n'a pas vocation à devenir un friteuse, l'assureur va lui faire comprendre...
- un incendiaire très négligent qui ne surveille pas ce qu'il met sur le feu, l'assureur va également lui faire comprendre...
- deux dommages personnels : l'un réel sur l'instant, consistant dans sa blessure à la main (dont on ne sait rien, et probablement sans lien de causalité avec la manipulation de la casserole), l'autre hypothétique dans l'avenir puisqu'il utilise un ordinateur dans le cadre de ses talents,
- un dommage matériel avéré : un incendie,
- mais qui subi réellement un préjudice ?
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Qu'en découle-t-il avant de chercher des arguments juridiques pour proposer des solutions ?
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MAIS il ne faut pas chercher d'autres conclusions, car nous connaissons des réponses en droit des obligations, la réalité dépasse souvent la fiction.
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Un candidat de bon sens, habité du sens commun du candide, va se dire que cette histoire de friteuse est bien improbable et sera nécessairement troublé inconsciemment pour rechercher des fondements juridiques. On le guide néanmoins sur un chemin parsemé d'invraisemblances.
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Henri peut-il se plaindre à quiconque d'un quelconque préjudice, et quel préjudice, et ne revient-il pas plutôt à son ex-ami d'enfance de se plaindre contre Henri ? On n'accueille pas en général quelqu'un chez soit pour qu'il vous détruise votre chez soi, sauf un délit d'escroquerie, mais cela relève alors du code pénal (article 313-1 qui prévoit et réprime cette infraction).
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Savez-vous combien peut coûter dans un appartement F4 un incendie de friteuse, du seul point de vue des dégâts matériels ?
Imaginez que l'incendie débute dans la cuisine, mais sans faire comme Henri, vous appelez tout de suite les pompiers. Ils vont immédiatement vous dire de fermer toutes les portes de communication à l'intérieur de votre appartement et d'en sortir. Mais eux, lorsqu'il vont arriver, ils vont ouvrir précipitamment toutes les portes fermées afin de faire évacuer les fumées.
Résultat : les pièces épargnées par les fumées les plus grasses vont à leur tour être totalement enfumées avant que, une fois l'incendie éteint, toutes les fumées toxiques ne soient évacuées par les fenêtres que les pompiers vont alors ouvrir dans toutes les pièces. Les fumées se seront donc propagées entre temps dans tout l'appartement (un F4 dans l'exemple), d'où des dégâts dans toutes les pièces, sur tous les équipements ménagers et personnels, en général toute la cuisine à refaire du sol au plafond, électroménager, l'électricité à réencastrer, les adductions d'eau et ses évacuations,... Et comptez encore, car la facture va s'élever dans cet exemple entre 30.000 et 40.000 euros, que les experts successifs vont longuement examiner (plus de deux années d'expertises pendant lesquelles il ne faut quasiment toucher à rien). L'enjeu, sur le plan simplement matériel, est énorme : c'est peut-être 200 années de primes d'assurances.
Sur le plan humain, l'évaluation relève toujours de règles très complexes pour en donner le moins possible ; c'est la loi du genre.
Est-ce que cela donne envie d'inviter Henri ?
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"Nemo auditur suam propriam turpitudinem allegans", non ?
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Bon, c'est un peu ironique tout cela, quoi qu'il y ait des choses parfaitement vraies et auxquelles le juriste du genre va être confronté.

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